Le Protocole Oracle

2012

Le Protocole Oracle

Depuis quelques années, les Dirigeants de la Fédération font discrètement procéder avant chaque décision importante à une séance de ‘voyages dans la conscience’. Ils disposent d’une ressource humaine ultra-sélectionnée, issue de diverses régions du monde.

Ils se sont laissé convaincre par un groupe de Conseillers de tester une technologie moderne codifiée sous le nom de “Protocole Oracle”, qui permet à une équipe de sensitifs d’explorer le futur.

Les sessions ont lieu dans un bunker souterrain hautement sécurisé. Le “Protocole Oracle” utilise une formule chimique classifiée, et s’inspire largement des travaux du Docteur Rick Strassman et de Terence McKenna sur la DMT, un agent naturel sécrété par la glande pinéale.

Désemparés face à une crise durable, les Dirigeants se sont facilement laissé convaincre de “s’inspirer des Anciens”. La démarche consiste sans grandes conséquences à tenter de reproduire le schéma classique des Oracles grecs. Le budget du Programme, très inférieur à celui d’un seul avion de combat, est prélevé sur les fonds secrets de la Présidence. Cependant le Pouvoir ne pouvait longtemps refuser à ses Bienfaiteurs et alliés de bénéficier d’une telle avancée technologique…

Le Protocole Oracle
Didier de Plaige
éditions Chamaneditionumeric
2012

“Entre chamanisme et modernité, réalité ou fiction ?”

Préface de Tom Verdier

Peut-on encore avoir peur dans ces allées trop bien rangées? Le pouvoir peut-il encore trembler quand il dispose d’aperçus parfaitement fiables du futur ?
Une société à ce point hiérarchisée et verrouillée, pour tout dire dynastique sans s’en vanter, présente-t-elle un autre risque que de perdre sa place ? Les oracles sont un fait, une technologie secrète au service du pouvoir, d’où pourrait même venir une catastrophe ? Et pourquoi pas du présent et de l’ambition humaine ?

L’argent et la finance veulent leur part de prophéties, le pouvoir croit possible de les leur céder sans rien y perdre, les intérêts divergent d’emblée et la certitude de l’avenir ne fait plus qu’amplifier le désordre au présent, parce que le futur est inéluctable mais que chacun tente de le changer, et chacun à sa manière.

Le chaos dort sous l’ordre apparent, et plus on organise le monde, plus on s’approche de la prochaine faille, plus violent sera le nouveau séisme et plus il détruira tout ce que l’homme a construit. Les digues quand elles cèdent font de plus grandes inondations, la bourse craque toujours plus violemment à mesure que les mathématiques la stabilisent : ce ne sont que des vétilles quand on songe au désastre que déverseraient en cédant les digues qu’on aurait érigées contre l’avenir.

© Alex Grey

Le Protocole Oracle est métaphysique.
Pendant que les magnats veulent croire qu’ils décident du monde en regardant le futur par le judas de leurs préoccupations mesquines, la presse libre, cette hydre humaniste qui ne s’occupe que du présent, n’a de cesse que la situation actuelle, quelle qu’elle soit, puisse être connue de tous. Son point de vue est simple: l’homme décide toujours bien, il suffit qu’il sache, c’est à dire que tout le monde sache. Mais c’est un exercice dangereux que d’arracher la vérité à cette réalité truquée en temps réel, plus dangereux encore est celui de la dire. La faire accepter confine au génie. Les vrais héros de cette histoire ne peuvent être que journalistes.

Le protocole Oracle est cyberpunk.
Très tôt ces enjeux sont posés, et dès cet instant, on n’est plus sûr de rien. Qui décide vraiment ? Qui manipule qui ? Le président de la Fédération, qui a le pouvoir de prendre et faire appliquer toutes les décisions ? N’est-ce pas le plus effrayé ? Ou les analystes, ces maillons indispensables entre les visions tumultueuses des Pythies sous DMT et la compréhension rationnelle des décideurs qui les interrogent en tremblant ? Ou les Oracles eux-mêmes ? Pourquoi se priveraient-ils de raconter ce qui leur chante ?

Enfin il y a ces intermèdes, cartoonesques à première vue, et dont j’attends beaucoup si ce scénario devient le film qu’il mérite d’être. Ces visions qui jalonnent l’histoire sans s’en mêler n’en sont-elles pas le fond ? Le spectacle enfin brut et sans interprétation d’une nature intemporelle, reflet de l’ordre cosmique jusque dans son absurdité, sage de tout temps, conscient, qui sait faire démonstration d’un sacrifice sans verser une larme ? ==Toutes ces questions restent heureusement presque sans réponses, tous les personnages ont de fait le pouvoir puisque le moindre mot, le moindre geste de chacun met en branle le destin dans des proportions jamais vues.

Mais bien malin qui saura décider lesquelles ont fait consciemment l’exercice de leur pouvoir dans ce jeu ou tout le monde devra sacrifier au moins une pièce. On peut lire ce livre trois fois, dix fois et décider chaque fois qu’un personnage différent manipule tous les autres : l’histoire sera différente à chaque lecture sans qu’aucune version ne soit plus vraie qu’une autre.

Les flux se croisent, cherchent à se heurter mais ricochent invariablement; l’information, la propagande, l’argent et le pouvoir officiel avancent leurs pièces de plus en plus vite, jouent les uns contre les autres mais participent au même jeu. Parce que dans le fond il n’y a qu’une ligne de démarcation : taire ou dire tout ou partie de ce qu’on sait.

Alors tout le monde choisit son camp mais la frontière est reconnue par tous les joueurs et c’est bien sûr dans ce seul consensus que se trouve tout l’enjeu : s’il faut mentir au peuple pour le garder sous contrôle, c’est qu’aussi confit qu’il soit de son illusion de pouvoir personnel, aucun dictateur, aucun magnat, nul être enfin ne doute au plus profond de lui-même que son pouvoir ne tient qu’à un fil, que ce fil est un tissu de mensonges et que rien n’est plus fragile : il suffit d’une seule vérité pour tous les trancher. Le Protocole Oracle est plein d’espoir. Et cyberpunk, décidément.

Du fond des années 50, les premières heures de la science-fiction situaient volontiers le futur à l’entour de 2010. Le Protocole Oracle n’a plus besoin de tels atermoiements. La science-fiction est notre réalité et nul n’en doute plus. Il n’y a plus de futur et plus besoin d’Oracle. Il n’en fut jamais autrement mais l’humanité en prend enfin conscience : il n’y a qu’Ici et Maintenant!

Didier de Plaige